Le management peut-il être humaniste ?

La Bienveillance ingrédient de la Performance en entreprise : faites du Yoga pour cultiver la solidarité . Non à la compétition, oui à l’union !

De plus en plus de managers considèrent que la bienveillance est un ingrédient tant du bien-être des salariés que de la performance de l’entreprise.

Reconnaissance, leadership bienveillant et coopération : tels sont quelques-uns des principes directeurs d’un « management humaniste » qui tentent d’instaurer dans les entreprises des pratiques respectueuses de la personne et cherchent à prendre en compte le bien-être de la personne sans nuire, au contraire, à l’efficacité. Mais n’est-ce pas là une douce utopie qui cadre mal avec les contraintes qui pèsent sur les vieilles routines organisationnelles ? Une enquête que j’ai menée auprès de plusieurs entreprises invite à penser le contraire. Si le paradis n’est pas de ce monde, un monde meilleur est possible en matière de vie au travail comme le montrent les expériences récentes.

La reconnaissance

Nous avons tous besoin de reconnaissance, non seulement dans nos relations privées, mais également au travail. Lors d’une enquête française, 57 professionnels de différents secteurs ont été interrogés sur ce qui leur donnait le sentiment d’être reconnus par leur supérieur hiérarchique. Il en ressort que l’appréciation personnelle a plus d’impact que les moyens financiers. Comme le disent certaines de ces personnes : « Le salaire ne fait pas tout » ; « Des primes, c’est vrai, c’est important mais moi j’attends plus, un remerciement, des choses simples » ; « Si j’avais à choisir, je préférerais une hiérarchie bienveillante, un environnement de travail calme et des collègues avec qui on est en harmonie » ; « Quand vous êtes avec un client et que votre chef vous met en valeur, c’est essentiel et cela n’a pas de prix ».

Une équipe d’universitaires spécialistes du management a interrogé une centaine d’étudiants de quatre universités américaines qui, au vu de leurs diplômes, sont surtout « chassés » par des recruteurs. Avant leur premier entretien d’embauche, les facteurs les plus importants qui pourraient les inciter à accepter un poste sont le travail lui-même, la rémunération, les perspectives d’évolution de carrière, les bénéfices et la formation. Mais la rencontre avec des recruteurs va radicalement modifier leur hiérarchie des critères. Ce qui devient prioritaire, c’est l’attitude manifestée par les recruteurs envers le candidat. 83 jeunes sur 96 ont estimé que la façon dont ils étaient traités au cours du recrutement était importante. Sur les 36 étudiants ayant signalé un traitement positif au cours du recrutement, 31 ont accepté la proposition qui leur a été faite.

Reconnaître et valoriser ce qui se fait de positif au sein d’une organisation a conduit à une méthode très judicieuse appelée « démarche appréciative » (appreciative inquiry). Le cœur de cette approche c’est d’explorer (to inquire) ce qui fonctionne bien et lui donner de la valeur, lui accorder de l’importance (to appreciate). En France, elle a surtout été développée et diffusée par Jean Pagès et Jean-Christophe Barralis, codirecteurs de l’Institut français d’appreciative inquiry . Ce dernier a d’ailleurs créé le terme de management appréciatif, en s’appuyant non seulement sur la démarche appréciative, mais également sur les recherches actuelles en psychologie positive. Selon lui, un manager est « appréciatif » quand il a une vision positive des êtres humains au travail et de leurs relations ; une vision qui le porte à rechercher et à percevoir la bonté des personnes, leur générosité, leur altruisme et leur solidarité.

Prenons l’exemple de Laval Mayenne Technopole, une association parapublique destinée à accompagner des entrepreneurs. Son directeur, Christian Travier, apprécie ses salariés, est fier d’eux et n’hésite pas à leur exprimer sa reconnaissance. « À mes yeux, chacun est important et j’essaie que le travail de tous soit valorisé, m’explique-t-il. En France, on est trop habitué à souligner le négatif, alors que c’est l’inverse qu’il faut surtout faire : mettre en valeur les choses positives. À la suite d’un événement organisé par l’équipe, il m’est arrivé de passer trois heures à rédiger un mail collectif de remerciement. Je tiens à remercier chaque personne pour son apport spécifique. Un mail général de remerciement un peu flou, ça n’a pas de sens à mes yeux. C’est important que chacun sente que j’ai apprécié ce qu’il ou elle a apporté dans l’œuvre commune. » Au cours de ma rencontre avec ses collaborateurs, plusieurs ont souligné à quel point ils étaient sensibles à cette marque de reconnaissance.

L’entretien annuel d’évaluation est un exemple représentatif de cet état d’esprit. Alors que beaucoup de salariés redoutent cette expérience, ici c’est au contraire l’occasion d’une valorisation de tout ce qui a été fait et d’un encouragement pour améliorer ce qui peut encore l’être.

Le leadership serviteur

La plupart des théories du leadership ont été élaborées par des universitaires, mais l’une d’elles déroge à cette règle : le leadership serviteur, inspirée par l’expérience professionnelle de Robert Greenleaf et d’autres cadres. Selon lui, « le bon leader est d’abord perçu comme un serviteur, et ce simple fait est la clé de sa grandeur. (…) Cela commence avec le sentiment naturel de vouloir servir, d’abord servir. Un choix conscient amène ensuite la personne à désirer être leader. Cette personne est très différente de celle qui est d’abord leader(…) La différence s’exprime dans le soin pris par le serviteur – d’abord de s’assurer que les besoins prioritaires des autres personnes sont servis. »

Le concept fait maintenant l’objet d’études universitaires. Des chercheurs ont élaboré des questionnaires contenant des items liés à l’esprit de service, la réponse aux besoins des collaborateurs et de l’organisation, l’humilité, le désir d’aider les autres à croître, l’empathie, etc., questionnaires qu’ils font remplir à des collaborateurs de managers. Ces recherches confirment que cette attitude est corrélée à divers aspects positifs du fonctionnement organisationnel. Deux synthèses d’études empiriques  concluent que le leadership serviteur :

  • crée un climat positifdans l’organisation et augmente la satisfaction et le bien-être des salariés, ainsi que leur confiance envers le leaderet l’organisation ;
  • favorise la coopération, l’aide réciproque et les comportements citoyens dans l’organisation ;
  • augmente la créativité et l’implicationdes salariés, ainsi que l’efficacité des leaders et des équipes ;
  • diminue le turn-overdes salariés.

La coopération

Certains managers pensent que la productivité est associée à la compétition entre les salariés ou entre les équipes. C’est une erreur : c’est en fait une source de mal-être et d’inefficacité. Sabine Sonnentag, professeure de psychologie à l’université d’Amsterdam, a mené une série d’études sur les facteurs corrélés à la performance chez divers professionnels . Elle a demandé à 159 informaticiens allemands et suisses de nommer un collègue qu’ils considéraient comme un excellent professionnel, puis de décrire pour quelles raisons ils pensaient cela. La plupart des caractéristiques mentionnées entraient dans quatre catégories, dont les deux premières étaient les connaissances techniques et informatiques (69 %) et les compétences relationnelles (54 %) (coopération, communication, direction d’équipe). S. Sonnentag a également interrogé 94 ingénieurs ; cette fois-ci, ce sont la coopération et la communication qui arrivent en premier (84 %), devant les connaissances et compétences techniques (81 %) et le style de travail (41 %).

Dans une autre recherche, elle compare les modes de fonctionnement de 16 informaticiens particulièrement performants et 20 autres moins performants, en fonction de leur réussite respective à des tests informatiques. Elle constate une corrélation entre coopération et performance ; ceci fonctionne comme une spirale vertueuse, chacune entraînant l’autre.

« Soyons des anges gardiens les uns pour les autres »

Dean Tjosvold est certainement le chercheur qui a le plus étudié la coopération, dans des organisations et des pays très différents. Quelle que soit l’organisation étudiée, ses résultats sont identiques d’une recherche à l’autre. La coopération est systématiquement corrélée à la satisfaction et l’implication des membres de l’équipe (et en est parfois la cause), au plaisir de travailler ensemble, à la confiance dans les collègues, au désir d’améliorer l’efficacité de l’organisation, de réduire les coûts de production, et, in fine, à l’efficacité et à la productivité. C’est l’inverse qui se passe en situation de compétition ou d’indépendance. Par exemple, les personnes fonctionnant de manière coopérative ont tendance à parler ouvertement des erreurs faites et en tirent une source d’apprentissage pour le futur. Inversement, dans un contexte compétitif, reconnaître une erreur est dangereux, car cela risque fort d’être interprété comme une marque d’incompétence, ce qui limite les possibilités d’apprentissage organisationnel.

Un bon exemple de coopération réussie est Sagarmatha (du nom d’une région du Népal), une agence de communication événementielle fondée en 1990 par Christophe Larrenduche, où travaillent 40 salariés. Alors que ce secteur d’activité est en baisse, Sagarmatha est en progression constante.

  1. Larrenduche, fondateur et directeur, accorde une grande importance à l’entretien de recrutement. Convaincu que « personne n’est compétent tout seul dans ce métier », il s’intéresse particulièrement à la fibre humaniste et au sens de l’équipe de la personne. « Je préfère ne pas recruter quelqu’un de très compétent, mais qui ne joue pas collectif. J’ai adopté une devise : “Soyons les anges gardiens les uns pour les autres.” »

Le plaisir de travailler ensemble ressort de tous les propos que j’ai entendus. Ainsi, Manuel me dit : « J’adore mes collègues. Ici, on crée les conditions de la fraternité ; il y a une énorme solidarité entre nous, on s’entraide. L’intérêt général donne toujours plus de plaisir que l’intérêt individuel. » Pour Sylviane, « personne ne sait tout dans l’équipe et nous sommes très différents ; il y a donc nécessité de s’entraider. Il y a une énergie positive dans l’équipe, de l’enthousiasme dans le travail, le désir de bien faire. Et quand on fait une erreur, on en parle ouvertement entre nous. On assume notre responsabilité personnelle. »

Bonne entente rime parfaitement avec exigence, comme me le fait remarquer Sébastien : « Quand je suis arrivé dans l’entreprise, je me suis tout de suite dit : “Ça va être cool de travailler ici.” Je ressentais de la bienveillance, du respect et de la solidarité. Mais j’ai très vite constaté qu’ils étaient aussi hyperprofessionnels. À mon avis, ces deux aspects sont la clé de la réussite. Ici, nous avons d’excellentes conditions de travail, mais aucune pression sur le chiffre. »

Au final, les recherches menées sur le management humaniste montrent qu’il n’est pas une utopie mais une réalité déjà existante et aux résultats positifs, tant pour les personnes que les organisations.

Source : Jacques Lecomte, Juin 2017, www.scienceshumaines.com

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